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Être Manager et se sentir illégitime
Dans de nombreuses entreprises, il est courant de promouvoir les employés à la fonction de manager en fonction de leur ancienneté ou de leur expertise technique, même si ces critères ne sont pas toujours alignés avec les compétences requises pour être un bon manager. Cette pratique engendre plusieurs problèmes et le premier d'entre-eux est souvent un mal-être du nouveau manager qui peut se sentir comme un imposteur, c'est-à-dire qu'il peut douter de sa légitimité à ce poste, ce qui nuit à sa confiance en lui et à sa prise de décision.
Une illégitimité managériale liée aux différences de compétences
Le passage de l'expertise technique à une position managériale est souvent semé d'embûches et de nuances inattendues. Imaginons Julien, un ingénieur en logiciel de premier plan dans une entreprise technologique. Depuis des années, il a montré une habileté exceptionnelle à résoudre des problèmes complexes de codage et à créer des solutions novatrices. Ses collègues le considèrent souvent comme le "sauveur" lorsqu'un bug particulièrement retors menace un projet. Sa capacité à comprendre et à maîtriser les détails techniques le distingue.
Un jour, en reconnaissance de son talent, la direction décide de le promouvoir en tant que chef d'équipe. Si, en théorie, cette décision peut sembler logique, la réalité s'avère plus nuancée. En effet, être un prodige technique ne garantit en aucun cas la capacité à gérer et à diriger une équipe.
Au cours des premières semaines, Julien se rend compte que son nouveau rôle comporte des défis qu'il n'avait jamais anticipés. Par exemple, Léa, une membre de son équipe, est frustrée car elle estime ne pas recevoir suffisamment de reconnaissance pour ses contributions. Parallèlement, Marc et Sophie, deux autres membres de l'équipe, ont des conflits personnels qui affectent la dynamique de l'équipe. Au lieu de passer ses journées à plonger dans le code, Julien se retrouve à naviguer dans les eaux tumultueuses des émotions humaines, des aspirations professionnelles et des relations interpersonnelles.
En outre, sa transition du rôle d'expert à celui de manager l'amène à devoir déléguer des tâches qu'il aurait préféré exécuter lui-même. Lors d'une réunion, par exemple, il est tenté de proposer immédiatement des solutions techniques à un problème. Cependant, il réalise qu'il doit désormais donner l'opportunité à son équipe de réfléchir et de proposer leurs propres solutions, même si cela prend plus de temps.
Cette évolution dans le rôle de Julien illustre à quel point la gestion d'une équipe va bien au-delà de la simple expertise technique. Cela nécessite une capacité à communiquer efficacement, à résoudre des conflits, à motiver et à guider les membres de l'équipe vers un objectif commun. Et tout comme il a dû apprendre et affiner ses compétences techniques tout au long de sa carrière, il devra maintenant investir du temps et de l'énergie pour développer ses compétences en tant que manager.
Des problèmes de légitimité liés à la résistance des pairs
Lorsqu'un employé est promu parmi ses pairs, il peut être difficile pour lui de gagner leur respect en tant que manager. Les anciens collègues peuvent remettre en question sa légitimité, surtout s'ils estiment avoir autant d'ancienneté ou d'expertise.
Le parcours d'Émilie, qui travaille dans un cabinet de conseil, illustre parfaitement la complexité du passage de collègue à manager. Émilie a toujours été appréciée pour sa rigueur, son expertise et sa capacité à livrer des projets dans les temps. Au fil des années, elle a tissé des liens solides avec ses collègues, partageant des moments conviviaux à la pause café, des soirées d'entreprise et même des sorties entre amis en dehors du travail.
Un jour, en reconnaissance de ses compétences et de sa fidélité à l'entreprise, Émilie est promue au poste de responsable d'équipe. Cette nouvelle responsabilité aurait dû être une étape épanouissante de sa carrière, mais elle a rapidement découvert les ombres qui se cachent derrière la lumière des promotions.
Là où autrefois elle échangeait des potins et des anecdotes amusantes avec ses collègues, elle se retrouve maintenant à devoir maintenir une certaine distance, une frontière subtile entre le rôle de manager et celui d'amie. Lors des évaluations annuelles, par exemple, comment juger objectivement la performance de Thomas, avec qui elle a partagé tant de souvenirs, ou de Claire, qui est devenue une amie proche ?
Les défis ne s'arrêtent pas là. Certains membres de l'équipe commencent à remettre en question ses décisions, murmurant peut-être qu'ils ont autant d'expérience qu'elle, voire plus, et qu'ils auraient dû être à sa place. Lors d'une réunion, par exemple, lorsque Émilie propose une nouvelle méthodologie pour un projet, Alexandre, un collègue de longue date, exprime ouvertement son désaccord, non pas sur la base d'arguments professionnels, mais en rappelant subtilement des erreurs passées qu'ils avaient vécues ensemble en tant que pairs.
Cette tension est palpable, et Émilie sent qu'elle marche sur des œufs, essayant de gagner le respect de son équipe tout en luttant contre le sentiment qu'elle est toujours perçue comme la "collègue Émilie" et non comme la "responsable Émilie". La balance entre l'autorité et la camaraderie devient un exercice d'équilibriste, où chaque décision, chaque parole, chaque geste est scruté et jugé.
Cet exemple d'Émilie met en lumière les difficultés inhérentes à la transition d'un rôle de collègue à un rôle de manager, en particulier dans des environnements où les relations personnelles et professionnelles sont étroitement liées. C'est un voyage de repositionnement, où il est essentiel de redéfinir les frontières tout en conservant l'authenticité et l'intégrité qui ont mené à la promotion en premier lieu.
Des questions légitimes liées au syndrome de l'imposteur
Aurore, brillante économiste au sein d'une grande banque internationale, avait toujours su se distinguer par son acuité intellectuelle. Son analyse fine des tendances économiques, combinée à sa capacité à prévoir les fluctuations du marché, l'avait propulsée au sommet de son domaine d'expertise. Les louanges de ses supérieurs étaient constantes, et sa réputation en tant qu'experte n'était plus à faire.
Lorsqu'elle fut invitée à occuper un poste de direction, une vague d'enthousiasme l'envahit initialement. Elle voyait cela comme la reconnaissance ultime de ses années de dur labeur. Cependant, très vite, une ombre s'est glissée dans son esprit. Bien qu'elle n'ait jamais douté de ses compétences en tant qu'économiste, elle n'avait jamais véritablement envisagé de diriger une équipe de professionnels tout aussi talentueux qu'elle. La question la hantait : était-elle vraiment à la hauteur ? Ce doute insidieux, souvent décrit comme le "syndrome de l'imposteur", commença à l'éroder de l'intérieur.
Lors de sa première grande présentation en tant que directrice, elle se trouva face à un parterre de visages, certains familiers, d'autres haut placés et qu'elle n'avait jamais rencontrés. Malgré ses années d'expérience, une nervosité qu'elle n'avait pas ressentie depuis ses premiers jours à la banque s'empara d'elle. Chaque question qui lui était posée, même la plus anodine, était interprétée comme un test, une évaluation. Elle se demandait si ceux qui la questionnaient voyaient en elle l'experte ou la jeune femme qui avait été, à leurs yeux, propulsée à un poste qu'elle ne méritait peut-être pas.
Après la réunion, en discutant avec un collègue proche, elle avoua ses insécurités. Il lui fit remarquer que personne, pas même les PDG les plus expérimentés, ne se sent jamais complètement préparé pour une nouvelle position. Tout le monde, à un moment ou à un autre, ressent ce vertige, cette sensation d'être un imposteur. Il lui rappela que la banque ne l'aurait jamais promue si elle n'avait pas été jugée capable. Mais le syndrome de l'imposteur n'est pas rationnel, et il ne suffit pas toujours de le reconnaître pour le surmonter.
Aurore dut travailler sur elle en étant accompagnée, apprendre à faire confiance non seulement à ses compétences mais aussi à sa capacité d'apprendre et de s'adapter à ce nouveau rôle. Avec le temps, le soutien et un parcours d'apprentissage managérial, elle parvint à trouver l'équilibre, à accepter qu'elle n'avait pas toutes les réponses mais qu'elle était tout à fait capable de les chercher, et à embrasser pleinement sa nouvelle position avec la confiance qu'elle méritait.
Des questions liées au manque de formation en management
Lucas avait toujours été une figure centrale au sein du département de recherche et développement d'une entreprise pharmaceutique renommée. Ses collègues le connaissaient comme celui qui avait une réponse à chaque question, une solution à chaque problème. Il avait passé de longues nuits à travailler sur des formules complexes et des expérimentations, et son dévouement n'était pas passé inaperçu. Un jour, la direction, impressionnée par ses réalisations, décida de lui confier la gestion du département.
Alors que Lucas aurait dû ressentir de l'excitation à l'idée de cette nouvelle responsabilité, ce qu'il éprouva était plutôt un sentiment d'inquiétude. Sa formation avait principalement porté sur la chimie et la biologie, et non sur la gestion d'une équipe ou les nuances de la communication interpersonnelle. Il avait toujours été plus à l'aise avec une éprouvette qu'avec la gestion des ressources humaines.
La première semaine de Lucas en tant que directeur fut un révélateur. Lorsqu'un conflit éclata entre deux chercheurs au sujet d'un projet, Lucas se trouva désemparé. Plutôt que de s'attaquer à la racine du problème, il essaya de proposer des solutions techniques, espérant que cela mettrait fin à la dispute. Mais les tensions personnelles ne peuvent pas toujours être résolues par des formules scientifiques.
Puis vint le jour où il dut présider sa première réunion d'équipe. Ses mains tremblaient légèrement alors qu'il tentait de guider la discussion. Quand un membre de l'équipe posa une question sur les budgets et les allocations de ressources, Lucas réalisa qu'il n'avait jamais vraiment approfondi ce sujet. Son expertise technique ne lui fournissait pas les outils nécessaires pour répondre à ces préoccupations managériales.
Il devint évident que Lucas, malgré toute son intelligence et son expérience, manquait cruellement de formation en management. Il avait besoin d'apprendre comment motiver une équipe, comment gérer les conflits et comment prendre des décisions stratégiques pour le bien du département.
Reconnaissant ses lacunes, Lucas prit l'initiative de s'inscrire au programme Pass Managers+. Il commença également à consulter régulièrement un mentor expérimenté au sein de l'entreprise. À travers ces efforts, il commença à combler le fossé entre son expertise technique et les exigences de son nouveau rôle.
La transition de Lucas démontre qu'une promotion, si elle est basée uniquement sur l'expertise technique, peut parfois négliger les compétences essentielles nécessaires à la gestion efficace d'une équipe. Pourtant, avec le bon soutien et la volonté d'apprendre, il est tout à fait possible de surmonter ces obstacles et de s'épanouir dans des rôles de leadership.
Le risque de démotivation si le manager ne se sent pas légitime
Un expert technique qui est promu manager peut se retrouver à faire moins de ce qu'il aime (c'est-à-dire des tâches techniques) et plus de gestion, ce qui peut le démotiver.
Dans les méandres de la grande industrie, Camille, une ingénieure talentueuse, s'était toujours distinguée par son approche pragmatique des problèmes. Sa méthode de travail, structurée et linéaire, lui avait permis d'accomplir des prouesses techniques dans le secteur de l'automobile. Sa capacité à décomposer les problèmes en éléments gérables était devenue légendaire au sein de son équipe.
Toutefois, lorsque Camille fut promue responsable de projet, elle découvrit un monde où la structure et la linéarité étaient souvent mises à rude épreuve. Elle se retrouva à la tête d'un projet majeur impliquant plusieurs départements, chacun avec ses propres enjeux, agendas et dynamiques. Si, dans son rôle précédent, elle avait pu se concentrer sur les aspects techniques, elle se trouva soudainement confrontée à une mer de nuances humaines et organisationnelles.
Un défi particulier surgit lorsqu'elle dut coordonner les efforts entre l'équipe de conception et le département marketing. Alors que les concepteurs étaient préoccupés par la faisabilité et les coûts de production, l'équipe marketing était animée par des préoccupations esthétiques et la perception du marché. Lors d'une réunion, l'atmosphère devint électrique : le marketing voulait un design audacieux et innovant, tandis que les concepteurs mettaient en avant les contraintes techniques et budgétaires.
Camille, habituée à aborder les problèmes avec une logique rigoureuse, se sentit dépassée. Elle tenta d'appliquer sa méthodologie habituelle, en dressant des listes et en analysant les coûts, mais elle réalisa rapidement que ce n'était pas suffisant. Elle était confrontée à des enjeux relationnels, des émotions, des ambitions et des craintes. Elle avait besoin d'une nouvelle boîte à outils, une qui inclurait l'empathie, la négociation et la diplomatie.
Elle décida alors de se tourner vers sa collègue Nora, reconnue pour sa capacité à naviguer habilement dans les eaux tumultueuses de la politique d'entreprise. Nora lui apprit l'importance d'écouter activement, de comprendre les motivations sous-jacentes de chaque équipe et de chercher des solutions gagnant-gagnant. Ensemble, elles organisèrent des ateliers de co-création entre les deux équipes, créant un espace où chacun pouvait exprimer ses préoccupations et travailler collectivement à des solutions.
La trajectoire de Camille illustre à quel point la gestion de projets complexes va bien au-delà de la simple résolution de problèmes techniques. C'est un art délicat qui exige une compréhension profonde des dynamiques humaines et organisationnelles. Elle a appris que, si la logique et la structure sont essentielles, la capacité à tisser des liens, à bâtir des ponts et à harmoniser des visions divergentes est tout aussi cruciale pour le succès d'un projet.
Les problèmes liés au principe de Peter
Le principe de Peter suggère que, dans une hiérarchie, chaque employé tend à être promu jusqu'à son niveau d'incompétence. Autrement dit, un employé compétent à un poste peut être promu à un niveau où il devient incompétent, car les compétences requises sont différentes.
Au cœur d'une entreprise d'import-export, Alexandre avait toujours été le maître incontesté des chiffres. Sa capacité à déchiffrer les tendances du marché, à anticiper les variations des taux de change et à optimiser les coûts lui avait valu respect et admiration de ses pairs. Sa réputation était telle que ses collègues venaient souvent le consulter pour ses précieux conseils, même pour des décisions qui sortaient de son champ d'action direct.
Sa promotion à un poste de direction était donc une suite logique de sa brillante carrière. Néanmoins, au-delà des félicitations et des tapes amicales dans le dos, Alexandre découvrit rapidement les défis cachés de sa nouvelle position. Si, auparavant, il était l'expert sollicité pour des conseils ponctuels, il était maintenant attendu au tournant pour chaque décision stratégique, chaque orientation, chaque choix, qu'il soit grand ou petit.
Le poids des attentes commença à peser lourdement sur ses épaules. Alexandre réalisait que chaque décision qu'il prenait affectait non seulement les chiffres, mais aussi les vies des employés, la santé globale de l'entreprise, et même la réputation de la marque à l'international. Il se souvint d'une situation où, après avoir décidé de réduire les coûts en changeant de fournisseur, l'entreprise fut confrontée à des retards de livraison et à des problèmes de qualité. Le choc fut rude, et Alexandre dut faire face à la colère et à la frustration de ses équipes, mais aussi à la déception de clients fidèles.
Cette expérience fut un révélateur pour Alexandre. Il comprit que la position de leader ne consiste pas seulement à prendre des décisions basées sur des chiffres ou des analyses, mais nécessite également une vision globale, une capacité à anticiper les conséquences à long terme et une profonde compréhension des nuances humaines.
Il commença à consulter plus largement avant de prendre des décisions, à organiser des réunions avec des équipes de différents départements pour recueillir leurs avis et préoccupations. Il développa une relation plus étroite avec le service client pour mieux comprendre les besoins et les attentes du marché.
La transformation d'Alexandre en leader n'a pas été facile, mais elle a été enrichissante. Il apprit que la véritable force d'un dirigeant ne réside pas seulement dans sa capacité à analyser les données, mais aussi dans son aptitude à écouter, à apprendre et à s'adapter. Ainsi, Alexandre est devenu non seulement un expert en chiffres, mais aussi un leader visionnaire, capable de guider son entreprise à travers les tempêtes et les jours ensoleillés avec la même assurance et la même clairvoyance.
Les remèdes
Pour remédier à ces problèmes, les entreprises peuvent adopter différentes stratégies, comme :
- Formation et coaching : Offrir une formation adaptée en leadership et en management à ceux qui sont promus au rang de manager.
- Mentorat : Associer les nouveaux managers à des mentors expérimentés pour les guider.
- Voies de carrière distinctes : Créer des trajectoires professionnelles distinctes pour ceux qui souhaitent se concentrer sur l'expertise technique par rapport à la gestion.
- Évaluations régulières : Mettre en place des évaluations fréquentes pour s'assurer que les managers sont efficaces et pour identifier les domaines d'amélioration.
Il est crucial de reconnaître que la gestion est une compétence en soi, et que la promotion au rang de manager ne devrait pas être basée uniquement sur l'ancienneté ou l'expertise métier, mais aussi et surtout sur la capacité à diriger et à gérer une équipe. Et ça, surtout en France, c'est un vrai challenge...
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