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La Bienveillance : un mot Fourre-Tout au service du wokisme et du coaching
La bienveillance, ce mot doux et rassurant, a longtemps été associé à la gentillesse, à l'écoute et à l'empathie. Galvaudé : au fil des années, il a subi une véritable mutation sémantique pour devenir un terme "fourre-tout", à la fois vague et complexe qui, dans certains contextes, alimente le wokisme et nuit à la qualité de la communication entre les êtres humains.
L'origine de la bienveillance
Avant d'explorer les ramifications complexes de la bienveillance dans le discours contemporain, il convient de comprendre sa signification originale. La bienveillance, du latin "bene volens" signifiant "vouloir du bien", implique une volonté positive envers autrui. Elle fait référence à un comportement gentil, affectueux et attentionné envers les autres. Elle s'articule autour de l'écoute, de l'empathie, de l'ouverture d'esprit et du respect mutuel.
La bienveillance comme mot fourre-tout
Cependant, avec le temps, la bienveillance a commencé à perdre de sa spécificité. Elle est devenue un mot à la mode, utilisé à tout bout de champ, d’abord dans le monde atrophié de certains coachs de vie et autres révélateurs de talents de tout poil, puis dans le monde du travail, puis dans le domaine de l'éducation, bien sûr certains responsables politiques ont emboîté le pas et puis enfin la nouvelle -pardon- néo bienveillance a envahi les relations interpersonnelles. L'usage excessif et indistinct de ce terme a donc dilué sa signification et a généré une certaine confusion... jusqu'à l’écœurement en ce qui me concerne. De nombreux concepts, parfois disparates, sont désormais rassemblés sous cette bannière unique de "bienveillance".
Aujourd'hui, il est courant de voir le mot bienveillance associé à des notions comme le respect de la diversité, l'inclusion, la tolérance, la non-violence, et même parfois la censure ou l'autocensure au nom de la protection des sentiments des autres. Ce regroupement éclectique de notions sous un même terme contribue à l'ambiguïté de la bienveillance et à la rendre, en quelque sorte, un concept fourre-tout.
La bienveillance au service du wokisme
Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de voir la bienveillance s'associer étroitement à l'idéologie du wokisme. Le wokisme, un mouvement social sain à son origine mais qui devient sociopolitique, encourage l'hyper-sensibilité aux questions de race, de genre, de sexualité, et d'autres formes d'identité. Il prône l'acceptation inconditionnelle de la diversité et le respect absolu des sentiments et des perspectives des autres, le plus souvent aujourd'hui, au détriment de la liberté d'expression, de l'esprit critique et du débat ouvert.
L'assimilation de la bienveillance au nouveau wokisme engendre un climat d'autocensure, où les individus craignent de s'exprimer de peur d'être étiquetés comme insensibles ou non bienveillants. Ce phénomène, connu sous le nom de "culture de l'annulation", paralyse le dialogue constructif et favorise une atmosphère de conformité intellectuelle. Comme la bienveillance est aujourd'hui perçue comme une exigence plutôt qu'un choix personnel, elle devient de fait une source de pression sociale. Chacun peut se sentir obligé d'être constamment gentil et compréhensif, ce qui est épuisant émotionnellement et parfois même insincère ce qui est un comble.
Et même si le concept originel de la bienveillance était encore d'actualité, il est tout à fait possible que, lorsqu'il est mal compris ou mal appliqué, il devienne contre-productif et mène à des échecs. Voici quelques exemples illustratifs d'une mauvaise utilisation de la bienveillance :
- L'effet de surprotection en éducation : De nombreux parents et enseignants adoptent une attitude de bienveillance excessive envers les enfants, cherchant à les protéger de tout échec ou difficulté. Bien que l'intention soit noble, cela peut finalement entraver le développement de la résilience chez l'enfant. L'enfant peut devenir dépendant de cette protection et avoir du mal à faire face aux défis et aux revers de la vie.
- La bienveillance mal placée dans le monde du travail : Dans le souci de créer un environnement de travail bienveillant, certains managers évitent de donner des retours critiques ou de prendre des décisions difficiles. Cette approche entrave la croissance professionnelle des employés, qui ont besoin de retours constructifs pour s'améliorer. De plus, la prise de décisions impopulaires, mais nécessaires, fait partie intégrante de la gestion efficace d'une entreprise.
- La culture de l'annulation et la bienveillance : Dans le désir d'être bienveillant envers tous les membres d'une communauté, certaines personnes peuvent devenir hyper-sensibles aux commentaires ou aux actions qui pourraient être interprétés comme offensants. Cela peut mener à la "culture de l'annulation", où les individus sont publiquement disgraciés et ostracisés pour des erreurs ou des faux pas, souvent sans possibilité de dialogue ou de rédemption. Cette approche stigmatise les erreurs, empêche le dialogue constructif et inhibe la liberté d'expression.
- La bienveillance et l'assistance excessive : Parfois, dans le but d'être bienveillants, nous pouvons tomber dans le piège d'en faire trop pour les autres, au point de les empêcher de faire les choses par eux-mêmes. C'est ce qu'on appelle parfois le "syndrome du sauveur". Cela entrave le développement de l'autonomie et de la confiance en soi chez l'autre personne, qui peut commencer à se sentir incapable sans votre aide.
L'abus de la notion de bienveillance par les "coachs de vie"
Dans le monde du coaching et du développement personnel, la notion de bienveillance a rapidement acquis une popularité notable et rentable. Cette approche, perçue comme un principe incontournable, est fréquemment mise en avant, parfois jusqu'à l'excès. Pour comprendre cette tendance, il est essentiel de jeter un œil sur son contexte culturel, en particulier son origine anglo-saxonne, ainsi que ses liens avec le mouvement wokiste actuel.
L'influence anglo-saxonne
Le coaching en développement personnel a fortement été influencé par la culture et la philosophie anglo-saxonne. Le concept de bienveillance, tel qu'il est interprété dans ce contexte, tend à être largement simplifié et réduit à une version axée sur la pensée positive et le soutien inconditionnel. Dans le contexte anglo-saxon, l'idée de bienveillance est souvent liée à l'évitement de toute confrontation ou critique, et à la validation constante. Comme beaucoup de concepts simplistes parfois utilisés en coaching, cette vision néglige des aspects importants de la bienveillance originelle.
Cette interprétation réductrice de la bienveillance a encouragé certains coachs "authentiques" à abuser de ce concept. En cherchant à créer une atmosphère de soutien et de validation constante comme on nous l'enseigne lors des formations en coaching, ils en viennent à éviter toute forme de critique ou de confrontation, même lorsque cela pourrait être bénéfique pour le développement de leur client. Cette approche finit par entraver la croissance et le développement de leurs clients, qui ont besoin d'un retour d'information constructif et de défis pour progresser. De plus, certains coachs utilisent la bienveillance comme un outil de marketing, l'affichant comme une preuve de leur supposée capacité à aider leurs clients. Tout cela conduit à une utilisation superficielle et inauthentique de la bienveillance, qui s'éloigne de son véritable esprit de respect et d'empathie.
Coaching, Bienveillance et Wokisme
Dans le même temps, la notion de bienveillance en coaching a des parallèles frappants avec l'évolution actuelle du mouvement wokiste. Tout comme le wokisme, qui prône une sensibilité excessive à la diversité et aux sentiments des autres, certains coachs vendent une version de la bienveillance qui encourage l'évitement de toute confrontation ou critique au nom de la protection des sentiments des clients. Il n'y a qu'à voir le nombre croissant de posts "mignons" qui fleurissent sur Linkedin. Cependant, tout comme le wokisme actuel entrave le dialogue ouvert et la liberté d'expression, cette approche de la bienveillance entrave le développement personnel. Les clients restent coincés dans leur zone de confort, sans être confrontés à des défis ou des vérités inconfortables qui pourraient vraiment les aider à grandir. Bien entendu, il ne s'agit pas de mettre tous les coachs professionnels dans le même panier.
Ce que j'en pense
La bienveillance est un concept précieux qui encourage la gentillesse, l'écoute et l'empathie. Cependant, sa signification élargie actuelle, son association avec le wokisme tel qu'il a évolué aujourd'hui et son impact sur la communication humaine méritent une réflexion approfondie. Il est crucial de retrouver un équilibre, de revaloriser la bienveillance authentique et d'être impitoyable avec ceux qui l'utilisent consciemment comme un outil de censure et de conformité intellectuelle.
Lorsqu'elle est pratiquée dans son sens originel, la bienveillance contribue à une communication saine et ouverte, favorise le respect mutuel, l'esprit critique et le débat. Elle enrichit nos relations humaines.
© Quasar Lille
Edit du 26.06.2023
Suite à quelques échanges, parfois intéressants, dans les commentaires d'un post Facebook de cet article écrit en août 2021.
Certaines sensibilités m'ont suggéré de contextualiser cet article pour ceux qui n'auraient pas compris, même si j'en doute, que comme la majorité des articles évoquant des positionnements sociétaux, il s'agit bien du point de vue de l'auteur, moi en l’occurrence, et donc non neutre comme tous les points de vue. Et que, comme tous les points de vue auxquels nous sommes confrontés dans la vie, il peut être partagé par certains et non-partagé par d'autres, y compris pour tout ou en partie. Damien.